L’homme en souffrance (Jo Zefka)

À propos d’Épuisé, de Johann Margulies (éditions de l’Observatoire, 2025)

Ce billet est une histoire d’amitiés. D’abord, celle qui me lie depuis de nombreuses années à Jo Zefka, l’une de ces trop rares personnes qui font que les réseaux dits sociaux ne sont pas seulement un immonde cloaque ; ensuite, celle que j’entretiens depuis aussi longtemps avec Johann Margulies, le premier auteur invité à avoir publié un billet dans ces carnets et dont l’humour, l’intelligence et l’humanité n’ont rien à envier à ceux du précédent ; enfin, et peut-être surtout, celle entre ces deux-là, qui a donné naissance à cette très belle recension par le premier du livre écrit par le second : Épuisé. Jo a lu l’ouvrage aussi profond que bouleversant de Johann – le récit à la fois intime, philosophique et politique de sa maladie. Ensemble, avec ce billet et ce livre, ils nous font des cadeaux précieux. Il faut lire ce texte de Jo ; il faut lire le bouquin de Johann.

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Notre patrimoine saccagé

Vue imaginaire de la Grande Galerie du Louvre en ruines, Hubert Robert (1796)

À chaque manifestation collective de joie ou de colère, une foule plus ou moins nombreuse se rassemble sur la place de la République à Paris puis laisse, dans son reflux, un monument violenté, sali, abîmé. La statue subit ainsi des détériorations, insupportables d’au moins trois points de vue : financier (les coûts des restaurations répétées pèsent indûment sur la collectivité alors que seuls les coupables devraient payer), patrimonial (le monument souffre de ces dégradations, chaque nettoyage érode un peu plus la pierre et certaines peintures utilisées dans les tags restent incrustées dans le bronze) et symbolique (souiller l’allégorie de la République témoigne d’une haine profonde de la France). Le symbole de la République devient ainsi celui de tout notre patrimoine, à la fois méprisé et saccagé.

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Libérez Boualem Sansal !

Man in prison, Johann Adam Ackermann (1833)

Le 16 novembre dernier, le régime algérien arrêtait Boualem Sansal à son arrivée à l’aéroport. Depuis, l’écrivain âgé de 75 ans et atteint d’un cancer croupit en prison. Il a attendu plus de quatre mois pour que se tienne, le jeudi 20 mars, son procès devant le tribunal de Dar El Beida – un « procès » qui n’a duré qu’une vingtaine de minutes et s’est appuyé sur des conversations privées volées dans son téléphone et son ordinateur –, au cours duquel ont été requis dix ans de prison et un million de dinars d’amende (soit environ 7 000 euros) pour « atteinte à l’unité nationale, outrage à corps constitué [i.e. insulte envers l’armée], atteinte à l’économie nationale et détention de vidéos et de publications menaçant la sécurité et la stabilité nationales », échappant à l’accusation d’« intelligence avec l’ennemi », un temps retenue mais finalement écartée. Une semaine plus tard, le jeudi 27 mars, le verdict est tombé : Boualem Sansal est condamné à cinq ans de prison ferme et à une amende d’un demi-million de dinars.

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Affaire Daoud : un attentat contre la littérature

Femmes d’Alger dans leur appartement, Eugène Delacroix (1834)

Ce billet a été préalablement publié le 17 février 2025 par Le Point, que je remercie sincèrement.

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l’art ouvre une plaie infectée d’absence au flanc de la réalité
Romain Gary, Pour Sganarelle

En août dernier, l’écrivain franco-algérien Kamel Daoud publie Houris, son nouveau roman. Le 2 novembre, j’en débute la lecture ; le 4 novembre, il remporte le prix Goncourt (malgré leur enchaînement chronologique, ces deux événements n’ont probablement pas de relation de cause à effet). J’ai donc lu Houris – ce en quoi je diffère de la plupart de ses critiques.

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Le passé manipulé

La Persistance de la mémoire, Salvador Dalí (1931)

Mensonges. Fantasmes. Simplifications. Manipulations. Instrumentalisations. Le passé et l’histoire subissent les pires infamies, sur fond d’inculture généralisée et d’idéologie à hauteur de teckel.

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La Fièvre : Cassandre chez les identitaires

Billet garanti sans divulgâchage.

Éric Benzekri récidive. Et c’est un coup de maître. Le 18 mars, sera diffusé sur Canal+ le premier épisode de sa nouvelle série, La Fièvre. La semaine dernière, j’ai eu l’honneur d’assister à la projection en avant-première des deux premiers épisodes et, grâce à l’intervention d’une formidable petite fée, il se trouve que je connaissais les développements ultérieurs de cette série. Ce qui me permet d’affirmer sereinement que nous avons là une œuvre importante – peut-être celle dont nous avons collectivement besoin.

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Touchez pas aux contes de fées !

La Belle au bois dormant, illustré par Gustave Doré (1867)

Il n’y a pas un pan de la culture que les Torquemada du slibard ne cherchent à calomnier pour mieux les condamner au nom de leur idéologie mortifère. Après les auteurs classiques, les compositeurs, les statues diverses et variées… les voilà qui, depuis peu, ont décidé de s’attaquer aux contes de fées. À coup de chroniques et podcasts sur les chaînes de télé et les stations de radio complaisantes (France Info, Arte, France Culture et France Inter se font les serviles propagandistes de leur business névrotique), d’articles et éditos dans les journaux et magazines gagnés à leur cause (Télérama, l’Obs, Libération…), et d’entreprises de charcutage par les censeurs ripolinés en « sensitivity readers », la petite musique s’installe : les contes de fées sont réactionnaires et machistes, ils propagent la « culture du viol » et bafouent le « consentement », entretiennent des visions du monde racistes et colonialistes… bref, les contes de fées sont un nouvel avatar du Mal. La bêtise repart en croisade.

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Il n’est plus doux moment que celui où l’on ouvre un nouveau livre

La Liseuse, Jean-Jacques Henner (entre 1880 et 1890)

On se laisse aller à la douce flânerie dans les rayons d’une librairie, que l’on soit entré au prétexte d’un ouvrage particulier à quérir ou simplement pour profiter d’un moment suspendu. La compagnie des livres rappelle celle d’amis fidèles, accompagnés de la cohorte de ceux que l’on ne connaît pas mais que l’on aimerait rencontrer ; les Romains avaient raison : la culture c’est l’art de se faire des amis parmi les morts. Lire la suite…

L’inculture plastronnante

Nous avons sans doute sous les yeux les générations les plus stupides de l’histoire. Et les plus incultes. Il y en aura toujours pour me rétorquer que c’est ce qu’on disait déjà dans l’antiquité et que tous les misanthropes ont jugé leurs contemporains avec la même sévérité. Certes. Peut-être, après tout, les deux propositions sont-elles vraies simultanément – ce qui rendrait plus dramatique encore la première. Quoi qu’il en soit, un phénomène bien caractéristique de notre sinistre « modernité », « postmodernité » ou que sais-je encore, tient probablement dans cette fierté de la sottise, dans cette arrogance de l’inculture qui s’étalent et s’affichent partout et tout le temps. Non seulement aucune honte n’est plus attachée à ce qui, hier encore, était considéré comme des défauts dignes de raillerie ; mais on assume et on se rengorge même de sa propre connerie, devenue valeur positive. S’il existe encore, dans deux ou trois siècles, quoi que ce soit qui fasse office d’historiens, si la raison humaine n’est pas, alors, enfouie dans les abysses de l’idiocracie, pour reprendre le titre d’une pochade américaine, alors quel regard porteront nos descendants sur nous ?

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Les créateurs d’univers

swiat-dyskuJe n’ai jamais su écrire de fiction. Sans doute est-ce pourquoi j’admire à ce point les romanciers. Parmi eux, une espèce particulière me fascine : les créateurs d’univers qui œuvrent dans la science-fiction et le fantastique.
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