Comme un besoin de grandeur

Le monde rétrécit ; nos esprits l’accompagnent. Les aspirations individuelles comme collectives descendent l’échelle pour racoler les pâquerettes. En une enflure orgueilleuse, nous nous pavanons avec pour étendards nos ambitions de bousiers. Et nous jetons au ciel des regards pleins de reproches et d’envie.

Comme un besoin de grandeur.

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Joyeux Noël !

Joyeux Noël, Viggo Johansen (1881)

Attention ! Il est dorénavant très très mal vu de souhaiter un « joyeux Noël » à vos collègues, à vos amis, à vos proches comme à vos lointains. Pour être honnête, je dois avouer que ce phénomène n’est pas tout à fait nouveau, que, dans ce monde de dingues, cela fait déjà quelques années que le mot « Noël » sent le soufre et qu’il est préférable de se souhaiter de « joyeuses fêtes » – voire, encore pire, de « belles fêtes », sur le modèle de l’insupportable « belle journée » – pour être sûr de ne vexer personne.

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On se lâche !

Les Romains de la décadence, Thomas Couture (1847)

Tiens, encore un billet qui va me faire passer pour un horrible réac-facho auprès des ayatollahs de la moraline prétendument « de gauche ». Tant pis.

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Jouons le jeu !

Le Colin-Maillard, Jean-Honoré Fragonard (1750-1752)

Nulle activité n’est aussi sérieuse que le jeu. Il n’est, pour se convaincre, qu’à en observer les meilleurs spécialistes dans leur état naturel, des enfants dans une cour de récréation : le temps passé à définir des règles toujours plus complexes fait partie du jeu lui-même, est un jeu en soi, et puis avec quelle précision, quelle attention, ils s’appliquent à s’amuser… Tout cela est bien connu. Et dorénavant, les adultes eux-mêmes s’ingénient à jouer avec plus d’esprit de sérieux qu’ils n’en mettent à aucune autre affaire. Jeux de rôle, jeux de société, jeux vidéos… quel que soit l’âge, on assume pratiquer ces activités dont la variété semble avoir explosé. Ainsi ne se limite-t-on plus au Trivial poursuit ou au Monopoly avec les mômes les week-ends pluvieux, au rituel du rami le dimanche après-midi chez mamie, au poker du vendredi soir avec bières et cigares, ni aux tripots de plus ou moins grand style. Le jeu, seul ou en société, (re)devient pratique noble, et même revendiquée. Plus profondément encore, le ludique semble s’étendre à bien des domaines demeurés jusque-là hors de son influence.

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Le temps métrisé

Vanité, Philippe de Champaigne (vers 1645)

je vais vite très vite
j’suis une comète humaine universelle
je traverse le temps
je suis une référence
je suis omniprésent
je deviens omniscient
L’homme pressé, Noir Désir (1997)

Tu es un homme pressé. Très pressé. Obsédé par la performance dans tous les domaines, tu ne perçois le temps que comme une donnée purement quantitative qu’il te faut assujettir, quoi qu’il en coûte. Parce que le temps, ça coûte : c’est de l’argent. Le culte du dieu-pognon, religion partagée par tous, t’impose sa Loi, « TU NE PERDRAS PAS DE TEMPS », avec en note de bas de table, en police taille 2 : « tout temps perdu sera facturé selon le barème défini dans les conditions générales d’utilisation, etc. ».

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« L’enfer, c’est les autres »

Noli me tangere, Hans Holbein le Jeune (1532-1533)

L’agressivité règne depuis longtemps comme mode hégémonique de relation à l’autre – ce qui n’empêche pas que le phénomène continue de croître et de s’aggraver. Tout semble se passer comme si un esprit de suspicion généralisée s’était abattu sur nous.

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L’indécence commune

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Eric Arthur Blair, alias George Orwell

Le peuple serait doué d’une forme de morale intuitive lui permettant de distinguer « ce qui se fait » et « ce qui ne se fait pas » [1]. Telle est la thèse, ainsi outrageusement résumée, derrière la notion de « décence commune », chère à George Orwell et reprise par Jean-Claude Michéa. Toute l’œuvre du premier est parcourue par cette conviction que le peuple – au sens, ici, des classes laborieuses, singulièrement les ouvriers – possèderait cette capacité viscérale de s’orienter et de choisir entre le Bien et le Mal, entre le juste et l’injuste, entre, surtout, le décent et l’indécent – capacité que les classes supérieures auraient, quant à elles, perdue. Orwell, le socialiste antitotalitaire, increvable défenseur des plus misérables, irréprochable humaniste, défend toujours et partout la dignité humaine – c’est à travers ce prisme, je pense, qu’il faut comprendre cette notion de « common decency » : la dignité pour seul horizon et seul combat [2].
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À qui la faute ?

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Le Massacre de la Saint-Barthélemy, François Dubois (ca. 1572-1584)

Il n’y a place que pour une seule cause dans leur champ de vision et elle triomphe absolument, elle absorbe toute autre causalité, et c’est le bouc émissaire.
René Girard, Le Bouc émissaire

La chasse aux sorcières et le sacrifice cathartique de boucs émissaires sont des constantes sordides de l’humanité ; à tous les maux, un coupable doit être trouvé et condamné [1]. La pulsion inquisitoriale se porte très bien dans notre formidable modernité ; cette volonté de faire porter la faute sur un autre à exécuter en place publique se déchaîne, afin de mieux soulager sa propre culpabilité, de s’en prendre à des cibles expiatoires sur lesquelles déverser son ressentiment et de laver sa (mauvaise) conscience plus blanc que blanc. Lire la suite…

Plus vite, plus haut, plus fort !

Je ne suis pas sportif…
Ce n’est pas bien grave, me dira-t-on avec une très légère pointe de condescendance : on ne peut pas être bon en tout.

… et je n’aime pas le sport.
Là, en revanche, je sens qu’on me juge – le mépris suinte. C’est visqueux, le mépris, et puis ça « pègue », comme on dit chez moi.
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La culture de l’avachissement

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Jeune Décadente, Ramon Casas (1899)

Il est parti tôt et a sauté dans son Uber pour être chez lui au plus vite. Effondré sur son canapé, les yeux rivés sur une série Netflix dont il absorbe une saison entière d’affilée en la commentant sur Twitter, il attend son Deliveroo. On sonne à l’interphone, il grommelle, contraint de faire une pause au milieu de l’épisode – bah, il en profitera pour aller pisser – et va ouvrir. Hélas, ce n’est pas l’arrivée tant espérée de sa pitance toute prête qui lui réclame cet effort physique difficilement surmontable, ni le colis Amazon contenant le précieux nouveau gadget qu’il attend depuis deux jours (il va leur mettre une mauvaise note, ça leur fera les pieds), mais la livraison de ses courses, depuis le supermarché à deux cents mètres de chez lui. Il récupère les sacs, dans un échange minimal avec le livreur, les dépose au milieu de la cuisine et retourne à son épisode et à ses followers – il pissera plus tard.

*

La culture de l’avachissement est le soubassement anthropologique qui permet l’épanouissement de la « société de l’obscène » que j’ai décrite ailleurs. Elles forment les deux faces de notre modernité. Alors que l’esprit de grandeur fut vanté comme idéal de noblesse humaine, dorénavant, l’esprit de petitesse domine en tant que modèle de la vie bonne.
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