Liberté

La Liberté guidant le peuple, Eugène Delacroix (1830)

L’homme est né libre, et par-tout il est dans les fers.
Jean-Jacques Rousseau, Du Contrat social

Le premier terme de notre devise républicaine est peut-être le plus mal compris et le plus mal traité. Quoique (ou puisque) tout le monde l’emploie à tout bout de champ, on lui prête des définitions parfois étonnantes, souvent incompatibles, toujours ambiguës ; ce que certains désignent comme liberté ressemble à s’y méprendre à ce que les autres nomment servitude. Ainsi le concept sert-il des visions du monde, des idéologies et des présupposés anthropologiques radicalement différents. À tel point que, plus on parle de liberté, moins on sait de quoi l’on parle ; et que tout dialogue au sujet de ce concept fondamental finit immanquablement par se perdre dans des abîmes d’incompréhension mutuelle [1].

Lire la suite…

Qui ?

Le Voyageur contemplant une mer de nuages, Caspar David Friedrich (1818)

Cher vous,

C’est avec une réticence certaine que je vous sollicite aujourd’hui. Nous partageons la même aversion pour le césarisme, pour le pouvoir solitaire, pour les mensonges rouges sang des hommes providentiels et des sauveurs charismatiques. En bons républicains, nous leur préférerons toujours la collégialité, la discussion, la délibération.

Lire la suite…

L’État en lambeaux

Dessin à la plume du frontispice du manuscrit du Léviathan, offert par Thomas Hobbes à Charles II en 1651

À la fois cause et symptôme de la très grave crise dans laquelle notre pays s’enfonce, l’État subit les attaques répétées de nombreux ennemis ; son action et jusqu’à son essence sont contestées ; ses agents sont méprisés ; ceux-là mêmes qui devraient l’incarner s’ingénient à en saper les fondations. Or l’histoire de la France a ceci de propre que l’État, symboliquement mais aussi très concrètement par l’action de son administration et de ses services publics, est au cœur de la construction nationale française – affaiblir le premier revient immanquablement à fragiliser la seconde, déjà mal en point.

Lire la suite…

Profs

En mémoire de Samuel Paty et Dominique Bernard

Quel beau métier que celui de professeur en France !

Lire la suite…

Les trahisons des élus

Il ne faut pas grand-chose pour qu’un rituel tourne à la mascarade. Pour que le sacré se profane et que ce qui devrait être choyé ne mérite que d’être raillé. Pour que la ferveur cède à l’amertume. L’élection, procédure symbolique centrale dans nos démocratie modernes – au point que beaucoup, à tort, confondent les deux concepts – est viciée. L’abstention fait gloser, les élus sont méprisés, la représentation n’en finit pas d’être « en crise » (comme si cela voulait dire quoi que ce soit)… mais l’inertie a ceci de confortable qu’elle évite de penser et d’agir. Chaque génération d’élus peut ainsi se montrer plus médiocre que la précédente et trahir plus ouvertement la nation sans que cela n’émeuve grand monde.

Lire la suite…

Wokisme, néolibéralisme : ces idéologies qui n’existeraient pas

Allégorie de la Simulation, Lorenzo Lippi (vers 1640)

Communisme, socialisme, républicanisme, libéralisme, bonapartisme, royalisme, fascisme, nazisme… quel que soit leur bord politique, aussi nobles ou odieuses soient-elles, la plupart des idéologies en –isme se sont toujours assumées comme telles, leurs partisans s’en sont toujours revendiqués avec fierté, portant haut leurs étendards quitte à (et souvent pour) se castagner avec ceux d’en face. Il s’agit d’entrer dans l’espace public à visage découvert, afin de défendre une vision du monde et un programme politique, de convaincre de la justesse et de la justice de ses vues… voire de s’imposer par la force des armes lorsque celle des arguments ne suffit plus.

Lire la suite…

Des racinés

Racines d’arbres, Vincent van Gogh (1890)

Lorsque vous avez été déraciné autant de fois que moi, le problème des racines devient une question de sacs de voyage dans lesquels vous les transportez.
Romain Gary, L’affaire homme

Sommes-nous donc des arbres pour, sans cesse, être ramenés à nos « racines » ? La métaphore arboricole me semble toujours suspecte. D’autant plus lorsqu’elle se fait insulte. Ainsi de ces Français « de souche » (on reste dans le forestier) qui se voient requalifiés en « souchiens » dans un petit kakemphaton aussi méprisant que peu subtil. Leurs « racines », parce qu’elles ne seraient que françaises, en seraient infamantes ; au contraire des autoproclamés « racisés » dont les racines, parce qu’elles seraient étrangères, seraient nécessairement glorieuses – et peu importe d’ailleurs qu’elles soient largement fantasmées. Racinés contre racisés : l’affiche fait frémir d’une guerre des identités, des appartenances et des allégeances.

Lire la suite…

Les parents et l’école : je t’aime moi non plus

American Gothic, Grant Wood (1930)

Ce billet a été publié pour la première fois dans le numéro 339 (mai 2023) de la revue Humanisme. Je remercie le comité de rédaction d’Humanisme et tout particulièrement Aline Girard et Jean-Pierre Sakoun, coordinateurs de l’excellent dossier « Urgence pour l’école républicaine ».

Il n’existe rien de pire pour les nerfs qu’une réunion de parents d’élèves… sauf, peut-être, une assemblée générale de copropriétaires, et encore. L’irrationnel y domine et fait fuser les idées les plus farfelues. Quoique « les-parents-d’élèves » ne puissent être pris comme une entité monolithique [1], des invariants demeurent d’une école à l’autre. D’abord, l’image déplorable du système scolaire. S’y ajoutent la méconnaissance profonde du fonctionnement de l’école et une cécité complète dès qu’il s’agit de leurs enfants. De ce cocktail empoisonné découlent défiance et volonté d’ingérence alors que l’institution aurait besoin que les parents lui fassent confiance… et restent à sa porte.

Lire la suite…

Pourquoi il faut sauver les lycées professionnels

Une très grave réforme de l’enseignement professionnel est en train de passer dans l’indifférence générale de l’opinion publique ; hors les enseignants concernés, bien peu de voix s’élèvent contre cette nouvelle attaque envers l’institution scolaire [1]. Le sujet me tient particulièrement à cœur. Peut-être parce que ma mère était prof de math-sciences en lycée pro et que, de l’y avoir vue œuvrer pendant plusieurs décennies, je connais un tout petit peu le milieu ; peut-être, surtout, parce que le dédain dont les LP font l’objet me semble aussi injuste que dangereux alors qu’ils jouent un rôle crucial dans la réindustrialisation de notre pays, dans l’instruction de notre nation et dans la vie de notre Cité.

Lire la suite…

Les parasites de l’administration

Les Tricheurs, Le Caravage (v. 1595)

Ils ont été sous le feu des projecteurs pendant quelques jours, puis en ont été naturellement chassés par une nouvelle actualité – le manège du divertissement informationnel tourne à grande vitesse. Ils ? Les cabinets de conseil auxquels l’administration verse « un pognon de dingue », comme dirait notre Président. Ces dernières années, le recours au « consulting » (c’est plus chic que « conseil ») a littéralement explosé. McKinsey, par qui le scandale est arrivé, mais aussi les fameux Big four – Deloitte, PwC (PricewaterhouseCoopers), Ernst & Young et KPMG –, mais encore le Boston Consulting Group, Capgemini, Soprasteria, Accenture, Havas, Publicis, etc. sont appelés à la rescousse dès qu’il s’agit de concevoir des politiques publiques, de gérer une crise quelconque, de reconfigurer des services et administrations, de créer une nouvelle usine à gaz informatique… En matière de stratégie, de management, de ressources humaines, d’informatique, de communication, de « conduite du changement », il semble devenu impossible de faire quoi que ce soit sans eux. Ils ne sont toutefois que la face la plus visible du racket que subit la fonction publique.

Lire la suite…