Le monde rétrécit ; nos esprits l’accompagnent. Les aspirations individuelles comme collectives descendent l’échelle pour racoler les pâquerettes. En une enflure orgueilleuse, nous nous pavanons avec pour étendards nos ambitions de bousiers. Et nous jetons au ciel des regards pleins de reproches et d’envie.
Je ne suis pas socialiste ; je ne l’ai jamais été. Peut-être suis-je plus… radical – dans tous les sens qu’à pu prendre le terme selon l’époque. Il n’en demeure pas moins que nous avons suffisamment en commun pour que je m’adresse à vous aujourd’hui avec toute la franchise possible. Socialistes, qu’êtes-vous donc devenus ?
Moïse brisant les Tables de la Loi, Rembrandt (1659)
« Trop de normes ! » « Les normes nous écrasent ! » Ad nauseam… Mais de quoi parle-t-on vraiment ? Parmi tous les sens qu’il recouvre, le mot « norme » en possède notamment trois dont les multiples confusions entraînent malentendus gênants et manipulations dangereuses.
L’aspiration à un retour à la « vie normale » imprégnait à ce point tous les esprits que la « normalisation » – tel était le nom donné au grand plan de pacification et de réparation dessiné par l’Allemagne et la Russie, avec l’assentiment des États-Unis et de l’Union européenne, afin de sortir de la crise intense qui avait secoué le pays – ne fut pas même discutée. Pas plus que la signature du traité de Versailles qui instaurait une nouvelle Constitution et entérinait, de fait, la disparition de la souveraineté de la France. Officiellement, les institutions de l’Union européenne se chargeaient de la « sauvegarde » politique et économique du pays ; en réalité, le dominion germano-russe en commandait dorénavant les destinées.
Attention ! Il est dorénavant très très mal vu de souhaiter un « joyeux Noël » à vos collègues, à vos amis, à vos proches comme à vos lointains. Pour être honnête, je dois avouer que ce phénomène n’est pas tout à fait nouveau, que, dans ce monde de dingues, cela fait déjà quelques années que le mot « Noël » sent le soufre et qu’il est préférable de se souhaiter de « joyeuses fêtes » – voire, encore pire, de « belles fêtes », sur le modèle de l’insupportable « belle journée » – pour être sûr de ne vexer personne.
Le Serment des Horaces, Jacques-Louis David (1784-1785)
Homo sum nil hominum a me alienum puto Je suis homme et rien de ce qui est humain ne m’est étranger Térence, L’Héautontimorouménos
Peut-être la grossièreté est-elle la seule incarnation vraie et complète de la fraternité de nos jours. Gary, L’affaire homme
Le troisième terme de notre devise, qui la conclut et donc l’ouvre ou la clôt, semble toujours un peu décalé par rapport au deux autres, à un autre niveau. Nul débat enflammé, comme à propos de la liberté ; aucune attaque de front, comme au sujet de l’égalité ; tout juste une forme de dédain envers un concept qui passe aisément pour naïf ou illusoire à ses détracteurs… et même, in petto, à certains de ses défenseurs. La fraternité se trouve ainsi reléguée au second plan, comme effacée par le bruit et la fureur que les deux autres principes ou concepts génèrent dans la pensée et dans la discussion. Sans doute parce que la liberté et l’égalité appartiennent pleinement au domaine politique alors que la fraternité se conçoit intuitivement ailleurs, en-deçà ou au-delà du politique. Au point que l’équilibre de la devise puisse être remis en cause par cet ajout en apparence hétérogène.
La première et la plus vive des passions que l’égalité des conditions fait naître, je n’ai pas besoin de le dire, c’est l’amour de cette même égalité. Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique II
Le deuxième terme de notre devise républicaine en est la clef de voûte. Et pourtant, des trois concepts, l’égalité est sans doute celui qui subit le plus d’attaques de front car, si personne ne se déclare ouvertement contre la liberté, les opposants assumés à l’égalité ne sont pas rares. Mais faut-il encore savoir de quoi l’on parle puisque, au moins autant que la liberté, l’égalité fait l’objet de tant de détournements de sens qu’il devient difficile de s’y retrouver.
La Liberté guidant le peuple, Eugène Delacroix (1830)
L’homme est né libre, et par-tout il est dans les fers. Jean-Jacques Rousseau, Du Contrat social
Le premier terme de notre devise républicaine est peut-être le plus mal compris et le plus mal traité. Quoique (ou puisque) tout le monde l’emploie à tout bout de champ, on lui prête des définitions parfois étonnantes, souvent incompatibles, toujours ambiguës ; ce que certains désignent comme liberté ressemble à s’y méprendre à ce que les autres nomment servitude. Ainsi le concept sert-il des visions du monde, des idéologies et des présupposés anthropologiques radicalement différents. À tel point que, plus on parle de liberté, moins on sait de quoi l’on parle ; et que tout dialogue au sujet de ce concept fondamental finit immanquablement par se perdre dans des abîmes d’incompréhension mutuelle [1].
Dessin à la plume du frontispice du manuscrit du Léviathan, offert par Thomas Hobbes à Charles II en 1651
À la fois cause et symptôme de la très grave crise dans laquelle notre pays s’enfonce, l’État subit les attaques répétées de nombreux ennemis ; son action et jusqu’à son essence sont contestées ; ses agents sont méprisés ; ceux-là mêmes qui devraient l’incarner s’ingénient à en saper les fondations. Or l’histoire de la France a ceci de propre que l’État, symboliquement mais aussi très concrètement par l’action de son administration et de ses services publics, est au cœur de la construction nationale française – affaiblir le premier revient immanquablement à fragiliser la seconde, déjà mal en point.
Le Moine au bord de la mer, Caspar David Friedrich (entre 1808 et 1810)
Quoi qu’en disent les négationnistes climatiques qui ont rejoint les autres complotistes divers et variés dans les limbes de la paranoïa, le consensus scientifique est bien établi : nous vivons une catastrophe climatique et environnementale inédite, dont l’activité humaine est la cause directe. Entre réchauffement climatique et extinction de masse, les grands équilibres de notre planète sont en train de s’effondrer sous nos yeux, mettant en péril non seulement l’existence de l’humanité mais de la vie elle-même. Nous le savons, nous le voyons… et nous nous payons de mots plutôt que d’agir.