Femmes d’Alger dans leur appartement, Eugène Delacroix (1834)
Ce billet a été préalablement publié le 17 février 2025 par Le Point, que je remercie sincèrement.
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l’art ouvre une plaie infectée d’absence au flanc de la réalité Romain Gary, Pour Sganarelle
En août dernier, l’écrivain franco-algérien Kamel Daoud publie Houris, son nouveau roman. Le 2 novembre, j’en débute la lecture ; le 4 novembre, il remporte le prix Goncourt (malgré leur enchaînement chronologique, ces deux événements n’ont probablement pas de relation de cause à effet). J’ai donc lu Houris – ce en quoi je diffère de la plupart de ses critiques.
Le Serment des Horaces, Jacques-Louis David (1784-1785)
Homo sum nil hominum a me alienum puto Je suis homme et rien de ce qui est humain ne m’est étranger Térence, L’Héautontimorouménos
Peut-être la grossièreté est-elle la seule incarnation vraie et complète de la fraternité de nos jours. Gary, L’affaire homme
Le troisième terme de notre devise, qui la conclut et donc l’ouvre ou la clôt, semble toujours un peu décalé par rapport au deux autres, à un autre niveau. Nul débat enflammé, comme à propos de la liberté ; aucune attaque de front, comme au sujet de l’égalité ; tout juste une forme de dédain envers un concept qui passe aisément pour naïf ou illusoire à ses détracteurs… et même, in petto, à certains de ses défenseurs. La fraternité se trouve ainsi reléguée au second plan, comme effacée par le bruit et la fureur que les deux autres principes ou concepts génèrent dans la pensée et dans la discussion. Sans doute parce que la liberté et l’égalité appartiennent pleinement au domaine politique alors que la fraternité se conçoit intuitivement ailleurs, en-deçà ou au-delà du politique. Au point que l’équilibre de la devise puisse être remis en cause par cet ajout en apparence hétérogène.
La première et la plus vive des passions que l’égalité des conditions fait naître, je n’ai pas besoin de le dire, c’est l’amour de cette même égalité. Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique II
Le deuxième terme de notre devise républicaine en est la clef de voûte. Et pourtant, des trois concepts, l’égalité est sans doute celui qui subit le plus d’attaques de front car, si personne ne se déclare ouvertement contre la liberté, les opposants assumés à l’égalité ne sont pas rares. Mais faut-il encore savoir de quoi l’on parle puisque, au moins autant que la liberté, l’égalité fait l’objet de tant de détournements de sens qu’il devient difficile de s’y retrouver.
Le Moine au bord de la mer, Caspar David Friedrich (entre 1808 et 1810)
Quoi qu’en disent les négationnistes climatiques qui ont rejoint les autres complotistes divers et variés dans les limbes de la paranoïa, le consensus scientifique est bien établi : nous vivons une catastrophe climatique et environnementale inédite, dont l’activité humaine est la cause directe. Entre réchauffement climatique et extinction de masse, les grands équilibres de notre planète sont en train de s’effondrer sous nos yeux, mettant en péril non seulement l’existence de l’humanité mais de la vie elle-même. Nous le savons, nous le voyons… et nous nous payons de mots plutôt que d’agir.
Faut-il punir les idées quand elles se conduisent mal ?
Dans le très beau roman de Romain Gary, Les Clowns lyriques, on peut lire ce passage que j’aime bien (pages 28 et 29 de l’édition Folio-Gallimard pour ceux qui voudraient aller voir ; quant aux repères chronologiques de la première phrase : « cette époque », c’est la guerre civile espagnole, et « toujours », c’est la guerre de Corée) :
Quelle belle réflexion sur l’importance des mots et de la langue, sur ces inventions de la novlangue barbare, sur ces mots qu’on fait mentir, qui enferment, qui imposent, qui assignent ! Lire la suite…
L’anonymat sur les réseaux sociaux n’existe pas. On s’y présente toujours sous une apparence choisie, sous une identité réelle ou d’emprunt. Le pseudonyme n’est pas un anonymat, il porte en lui un sens, un imaginaire et une volonté. Il affirme un message avant même toute prise de parole sur ces scènes publiques, à la manière du costume revêtu pour se présenter à la lumière de l’espace public réel. Son choix ne peut être neutre parce qu’il est en soi un acte de monstration et de démonstration. Mais le masque du pseudonyme est un Janus bifront, source simultanée de liberté et d’irresponsabilité dont la puissance de dissimulation et de révélation excite les désirs de censure. Lire la suite…
Nom donné à des machines plus ou moins compliquées, à l’aide desquelles on assujettit les grands animaux, soit pour les ferrer, quand ils sont méchants, soit pour pratiquer sur eux des opérations chirurgicales.
Par extension du sens d’instrument qui assujettit, gêne, fatigue ; c’est le sens primordial comme le montre l’historique.
Soins et soucis de l’ambition.
Inquiétude.
Travail d’enfant, ou, simplement, travail, douleurs de l’enfantement, ou, techniquement, succession de phénomènes violents et douloureux dont l’ensemble caractérise la fonction de l’accouchement.
Peine qu’on prend pour faire quelque chose. Le travail du corps. Le travail de l’esprit.
Service auquel on soumet les animaux.
Se dit de l’action d’une machine ou du résultat de cette action.
Avant une pause estivale de quelques semaines, je voudrais inviter les lecteurs de ce blog à se tourner vers l’un de mes écrivains préférés : Romain Gary. Cet auteur allie dans chacun de ses ouvrages intelligence, élégance et lucidité, à tel point que choisir parmi ses romans ceux qui devraient être mis en avant devient une entreprise douloureuse. J’en ai sélectionné cinq mais il faut lire aussi tous les autres. Parce que Gary aide à devenir humain.
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La Promesse de l’aube, Romain Gary, Folio, 1960.
Le livre en deux mots
Attention : chef-d’œuvre d’humanisme !
Dans ce roman autobiographique, Gary mêle réalité et fiction avec pudeur. Du gamin de Vilnius au héros de la Résistance, il se raconte avec cette ironie qu’il manie si bien, cet humour lucide, toujours juste, parfois cruel, envers lui-même et ses contemporains. Mais la narration de sa jeunesse est surtout le prétexte à un émouvant hommage à sa mère. Lire la suite Les lectures de Cinci : un grand humaniste – Romain Gary
Une grande catastrophe les avait tous hébétés :
Un continent entier avait tenté de se suicider,
Deux fois dans le temps d’une vie d’homme.
Alors, malheureux et perdus, ils se regardaient :
« Qu’avons-nous fait ? » Et ils tournaient dans un sens.
« Qu’allons-nous faire ? » Et ils tournaient dans l’autre.