« Foules sentimentales »

La Lapidation de saint Étienne, Rembrandt (1625)

Sale temps pour la justice. Et je ne parle pas ici de la tempête provoquée par la condamnation de Marine Le Pen, bien qu’elle participe à cette sinistre météo.

L’institution, comme bien d’autres, est en ruines ; et les individus oscillent entre sentiments d’injustice et d’impunité. Il faut dire qu’avec ses procédures longues et tatillonnes destinées à asseoir la certitude de culpabilité, elle ne s’accorde guère à la frénésie qui agite notre époque ; qu’avec son culte du secret conçu pour assurer la sérénité de l’enquête et de l’instruction, elle subit la suspicion généralisée à l’égard de quiconque refuse la dictature de la transparence ; qu’avec ses principes surannés comme la présomption d’innocence et le débat contradictoire, elle doit affronter la soif de châtiment des masses en quête de divertissements sans cesse renouvelés.

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Marine Le Pen : le coup de théâtre… de trop ?

afp.com / Thomas Samson

Marine Le Pen condamnée. Le 31 mars, la favorite pour la prochaine élection présidentielle a été reconnue coupable de détournement de fonds publics et de complicité de ce délit dans l’affaire des assistants de parlementaires européens issus de son parti. Sa peine pour l’utilisation illégale de ces quatre millions d’euros au profit du parti : quatre ans de prison, dont deux ferme sous bracelet électronique, 100 000 euros d’amende et cinq ans d’inéligibilité. Et surtout l’exécution provisoire de la peine d’inéligibilité : l’appel n’est pas suspensif. Quoi qu’elle fasse, en attendant le jugement en appel, Marine Le Pen est inéligible. La culpabilité de Marine Le Pen fait moins parler que cette exécution provisoire qui l’évince, a priori, de l’élection de 2027.

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Libérez Boualem Sansal !

Man in prison, Johann Adam Ackermann (1833)

Le 16 novembre dernier, le régime algérien arrêtait Boualem Sansal à son arrivée à l’aéroport. Depuis, l’écrivain âgé de 75 ans et atteint d’un cancer croupit en prison. Il a attendu plus de quatre mois pour que se tienne, le jeudi 20 mars, son procès devant le tribunal de Dar El Beida – un « procès » qui n’a duré qu’une vingtaine de minutes et s’est appuyé sur des conversations privées volées dans son téléphone et son ordinateur –, au cours duquel ont été requis dix ans de prison et un million de dinars d’amende (soit environ 7 000 euros) pour « atteinte à l’unité nationale, outrage à corps constitué [i.e. insulte envers l’armée], atteinte à l’économie nationale et détention de vidéos et de publications menaçant la sécurité et la stabilité nationales », échappant à l’accusation d’« intelligence avec l’ennemi », un temps retenue mais finalement écartée. Une semaine plus tard, le jeudi 27 mars, le verdict est tombé : Boualem Sansal est condamné à cinq ans de prison ferme et à une amende d’un demi-million de dinars.

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Démagogues et populistes

Oraison funèbre de Périclès, Philipp Foltz (1877)

Du mouvement d’inspiration socialiste apparu au milieu du XIXe siècle dans la jeunesse dorée russe qui s’attribuait alors un rôle d’avant-garde éducatrice des masses paysannes, ne subsiste aujourd’hui qu’une insulte permettant de rejeter aux marges du politique tous ceux qui osent évoquer les intérêts populaires. Ainsi confond-on la défense du peuple avec le populisme, devenu synonyme de démagogie.

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Les rabat-joie

Bacchus, Le Caravage (Vers 1598)

Amis Français, rions ! boustifaillons ! baisons ! jouissons ! aimons ! Ne nous laissons plus emmerder par les rabat-joie apôtres du sépulcral réalisme, par les peine-à-jouir boursouflés de moraline, par les curés froids des identités sclérosées ! À force de les subir, de dépression, même une araignée finirait par se pendre à un fil de sa toile ! Tous : les zèlèfistes et les zécologistes, les gauchistes et les wokistes, les zemmouriens et les bons Aryens, les macronards et les droitards… tous prêchent leurs religions de souffrance et de mort – identitaires de « gauche » et de « droite » comme néolibéraux du « centre » : tous. Qu’ils nous vendent leur grise austérité au nom de l’Économie ou de l’Écologie, leurs raisons raisonnables et rationnelles raisonnent à vide – la seule obsession de ces pisse-froid : la douleur. Enfin, surtout la nôtre.

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Si seuls

Automat, Edward Hopper (1927)

« Quand je vous lis, je me sens moins seul. »
Il m’arrive de recevoir des compliments par des lecteurs de ces carnets ; si tous me touchent, celui-là m’atteint peut-être le plus. Quel paradoxe : comment pouvons-nous être si nombreux à nous sentir si… seuls ?
Comme une impression de tourner en rond, de prêcher dans le désert. Car « nombreux », c’est encore beaucoup dire : parmi les quelques-uns qui passent plus ou moins régulièrement par ici, tous ne ressentent pas cette solitude. Et encore : la ressentiraient-ils tous, combien de divisions ? que serions-nous dans cette communion négative par rapport à l’extase épiphanique des millions de fans que subjugue la première influenceuse tiktokeuse à faux ongles venue. Double vertige des grands nombres et de la bêtise.

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La table rase

Portrait d’un vieillard et d’un jeune garçon, Domenico Ghirlandaio (1490)

En apparence, nihil novi sub sole : la guerre des Anciens et des Modernes, des vieux cons et des jeunes imbéciles, n’a jamais cessé et, génération après génération, le recyclage infini des postures fait des révolutionnaires d’hier les réactionnaires d’aujourd’hui. Il faut néanmoins délaisser l’écume pour s’intéresser aux profondeurs : la fracture générationnelle qui traverse notre société peut alors montrer quelques aspects inédits, tant dans sa nature que dans son ampleur. Rupture technologique, inculture assumée et volonté d’éradiquer symboliquement tout ce qui a précédé parce qu’identifié au Mal absolu convergent pour alimenter le fantasme de la tabula rasa.

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Affaire Daoud : un attentat contre la littérature

Femmes d’Alger dans leur appartement, Eugène Delacroix (1834)

Ce billet a été préalablement publié le 17 février 2025 par Le Point, que je remercie sincèrement.

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l’art ouvre une plaie infectée d’absence au flanc de la réalité
Romain Gary, Pour Sganarelle

En août dernier, l’écrivain franco-algérien Kamel Daoud publie Houris, son nouveau roman. Le 2 novembre, j’en débute la lecture ; le 4 novembre, il remporte le prix Goncourt (malgré leur enchaînement chronologique, ces deux événements n’ont probablement pas de relation de cause à effet). J’ai donc lu Houris – ce en quoi je diffère de la plupart de ses critiques.

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À quoi servent les ministres ?

La chasse aux Ministres, Charles Vernier (après 1848)

J’ai récemment proposé un gouvernement de douze ministres aux domaines de responsabilités larges. Un « gouvernement idéal », en quelque sorte. Je ne me suis néanmoins pas attardé sur la question des « profils » de ces ministres. Un ministre doit-il être un expert de son domaine ? Posséder une expérience « du terrain », comme on dit aujourd’hui ? Un médecin fait-il un bon ministre de la Santé ? Le ministre de la Justice doit-il avoir exercé en tant que magistrat ou qu’avocat ? Un ministre doit-il être un professionnel de la profession ou un professionnel de la politique ?

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À la télé ce soir

Il y a quelque chose de pourri dans l’audiovisuel public. France Inter, France Info, France 5, Arte… et même France culture : les chaînes de télévision et radio du service public semblent avoir renoncé à l’impartialité et à l’objectivité pour se vautrer dans l’idéologie.

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